Trois femmes parmi tant d’autres » : 2° partie : C. de Pisan

Trois femmes parmi tant d’autres » : 2° partie : C. de Pisan

« Trois femmes parmi tant d’autres » : 2° partie

Je suis certain que nombre d’entre vous connaissent la première au moins par son poème « seulette suis, sans ami demeurée » ( Annexe 2 )

Christine de Pizzano, Christine de Pisan (Venise 1364 – Monastère de Poissy 1431 ), fille de l’astrologue de Charles V trouve dans la poésie l’aide nécessaire pour lutter contre les aléas de la vie ( veuvage, difficultés financières…) .

Dans une société où la femme est systématiquement tenue à l’écart et où les hommes détiennent tous les pouvoirs sociaux, culturels, et politiques, la situation de cette jeune veuve livrée à elle-même dans un pays dont elle n’est pas originaire, n’a pas toujours été facile à assumer.

Cependant, elle sera une des rares figures féminines de la littérature de son temps. Elle est aussi la première femme à avoir fait un métier de son goût pour les lettres.

Elle se montrera particulièrement mordante à l’encontre de Jean de Meung[1]

Déjà indignée par les lois qui ordonnent cette société, notamment la loi salique (qui exclut les femmes de la succession au trône de France), tout autant choquée par la suprématie quasi-totale des hommes dans le domaine culturel, elle ne peut admettre les propos antiféministes de Jean de Meung, qui s’oppose parfois avec cynisme, à l’amour courtois et prône un retour à la procréation dont il fait la finalité de l’amour[2]

Christine de Pisan veut réhabiliter l’honneur des femmes, la faiblesse du corps ne sachant sous-entendre celle de l’Esprit.

L’affaire a enflammé non seulement les milieux littéraires et universitaires, mais aussi la Cour en la personne de la Reine Isabeau de Bavière.

Cette première polémique anti féministe de l’histoire s’achèvera en 1403.

Considérée comme la première femme de lettres française, dans la totale acception de cette dénomination moderne, son œuvre ne se limita pas à ses premiers poèmes ; elle s’intéressa à la politique, à l’histoire, aux affres de la guerre et aux malheurs des prisons.

Christine de Pisan peut être présentée comme une féministe d’avant-garde (La cité des Dames – 1405 ). Elle fut probablement la première à formuler une protestation véhémente contre les préjugés discriminatoires à l’égard des femmes, soutenant que « si la coutume était de mettre les filles à l’école, elles comprendraient les subtilités d’art et de science comme il faut ! » …. ni plus ni moins que ce qu’en dira Condorcet bien plus tard.

Son « Epistre au Dieu d’amours » (cf. Annexe 3) qui plaide la cause des femmes peut être considéré comme subversif et fondateur . Le dernier vers est tout simplement majeur : « Elles (les femmes) de qui tout homme est descendu »……..en plein Occident Chrétien, sous la toute-puissance de l’Eglise, Christine de Pisan s’élève contre Genèse 2 :21, 22 qui fait naître la femme de la côte de l’homme. Ainsi, la femme n’est plus un dérivé de l’homme et n’a pas à lui être subordonnée.

 « Christine fut Tulle et Caton

Tulle, car en toute éloquence

Elle eut la rosée et le bouton ;

Caton aussi en sapience. » 

Ainsi, en 1440, 9 ans après sa mort, Martin Le Franc soulignait-il l’éloquence et la sagesse de Christine de Pisan dans son ouvrage, « Le champion des Dames ».

Ce terme devait qualifier un temps, les auteurs qui osaient alors prendre position contre la déferlante misogyne, et vanter « l’excellence des femmes » à une époque où toute femme était considérée comme une sorcière potentielle.

Dans ce type « d’exercice », il ne s’agissait pas tant de revendiquer l’égalité des sexes, que d’abandonner tout discours rationnel dans ce contexte, d’exprimer ses idées sous forme de paradoxe et ainsi vanter la supériorité des femmes.

Le traité le plus célèbre est sans doute celui de Henricus Cornélius Agrippa ab Nettesheim[3]( 1486-1535 ) intitulé «  De la Noblesse et préexcellence du sexe féminin » publié en 1509.

                                                                      ( Fin de la 2° partie : à suivre….)

ANNEXE 2 

Seulette suis, sans ami demeurée

Seulette suis et seulette veux être,
Seulette m'a mon doux ami laissée.
Seulette suis, sans compagnon ni maître, 

Seulette suis, dolente et courroucée,
Seulette suis, en langueur malaisée,
Seulette suis, plus que nulle égarée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Seulette suis à huis ou à fenêtre,
Seulette suis en un anglet muciée,
Seulette suis pour moi de pleurs repaître, 

Seulette suis, dolente ou apaisée,
Seulette suis, rien qui tant messiée,
Seulette suis, en ma chambre enserrée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Seulette suis partout et en tout aître,
Seulette suis, que je marche ou je siée, 

Seulette suis, plus qu'autre rien terrestre, 

Seulette suis, de chacun délaissée,
Seulette suis, durement abaissée,
Seulette suis, souvent toute éplorée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Princes, or est ma douleur commencée
Seulette suis, de tout deuil menacée,
Seulette suis, plus teinte que morée,
Seulette suis, sans ami demeurée.

Christine de Pisan - Cent ballades d’amant et de dame , Ballade XI

ANNEXE 3

Christine de Pizan, manuscrit original des Œuvres  (l’Epistre au Dieu d’amours, folio 55 recto).
Source : Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits

Et ainsi sont les femmes diffamées                                      Et ainsi sont les femmes diffamées 
Par tant de gens et à grand tort blâmées                             De pluseurs gens et a grant tort blasmées
En paroles et dans plusieurs écrits,                                      Et de bouche et en pluseurs escrips,
Où qu'il soit, vrai ou non, tel est le cri.                                 Ou qu'il soit voir ou non, tel est li crys.
Mais, quoi qu'on en ait médit ou mal écrit,                          Mais, qui qu'en ait mesdit ou mal escript,
Je ne trouve aucun livre ni récit                                            Je ne truis pas en livre n'en escript
[...]
Aucun Evangile qui du mal des femmes témoigne               N'euvangile qui nul mal en tesmoigne,
Mais maint grand bien, mainte haute valeur,                      Mais maint grant bien, mainte haulte besoigne,
Grande prudence, grande sagesse et grande constance,    Grant prudence, grant sens et grant constance,
Parfait amour [...]                                                                  Perfaitte amour [...]
Grande charité, fervente volonté,                                        Grant charité, fervente volenté,
Ferme et entier courage assumé                                          Ferme et entier corage entalenté
De servir Dieu, et vraie preuve elles en firent.                     À Dieu servir et vraye preuve en firent
[...]
Hormis les femmes, →Le doux Jésus                                    Fors des femmes fu de tous delaissié
←fut de tous délaissé, blessé, mort et décomposé.            Le doulz Jhesus, navré, mort et blecié.
[...]
Quoi de mauvais donc [sur les femmes] peut être dit ?       Quelz grans maulz donc en pevent estre diz ?
Par leur mérite, n'ont-elles pas droit au paradis ?               Par desservir n'ont elles paradis ?
De quels crimes peut-on les accuser ?                                 De quelz crismes les peut on accuser ?
[...]
Par ces preuves justes et véritables                                      Par ces preuves justes et veritables
Je conclus que tous les hommes raisonnables                     Je conclus que tous hommes raisonables
Doivent considérer les femmes, les chérir, les aimer,          Doivent femmes prisier, cherir, amer,
Et ne doivent avoir à cœur de les blâmer                             Et ne doivent avoir cuer de blasmer
Elles de qui tout homme est descendu.                               Elles de qui tout homme est descendu.

 

Christine de Pisan, l'Epistre au Dieu d'amours(1399)
Adapté du moyen Français par Bruno Rigolt

 

 

[1]J. de Meung, auteur de la 2° partie du « Roman de la Rose », poème allégorique dont la 1° partie avait été écrite 2 siècles et demi plus tôt par Guillaume de Lorris.

[2]Jean de Meung avait conçu dès le 13° siècle « la femme distraction de l’intellectuel » selon l’expression de Régine Pernoud.

[3]Henricus Cornélius Agrippa ab Nettesheim fut brièvement Conseiller municipal et avocat à Metz en 1518.