Sarda Garriga et l’abolition de l’esclavage à La Réunion
Quasiment oublié par nos contemporains,dont la majorité ignore jusqu’à son existence, qu’évoque encore le nom de Sarda Garriga et de son action ? Une lueur d’espoir persiste-t-elle avec les habitants de La Réunion, ancienne île Bourbon ?
Il est né le 13 décembre 1808, à Pézilla-La-Rivière (Pyrénées Orientales), de Gauderic Sarda, berger à la métairie du masBlanes, et de Marie Garriga native de Millas tous deux de familles républicaines[1]. Il se prénomme Joseph, Napoléon, Sébastien, et, pour marquer ses racines catalanes, son patronyme accole les noms de famille de ses deux parents.
Le propriétaire du mas, chez qui son père est employé, l’affectionne particulièrement. À sa mort, il est son légataire universel, héritier d’une maison bourgeoise à Perpignan, et de 15 hectares de terre en Salanque[2]. A 20 ans, épris de liberté, exalté d’idéaux républicains il part pour Paris. Il retrouve son ami du lycée de Perpignan, Etienne Arago[3], autre républicain convaincu.
Il fréquente des associations philanthropiques et humanistes, où sont abordés les thèmes des droits de l’homme et de la liberté. Par l’entremise d’Etienne Arago il devient secrétaire du romancier Benjamin Constant[4], et du député ariégeois Pagès.
Membre de la Société des Droits de l’Homme il côtoie Auguste Blanqui[5], Armand Barbès, Louis Blanc[6]...qu’il retrouve au Grand Orient de France dans les loges « Les Amis de la Vérité » où il aurait été initié avant 1848 et « La Clémente Amitié ».[7] Il participe aux barricades des Trois Glorieuses les 27, 28, 29 juillet 1830. En juillet 1833, il est arrêté pour complot contre la sûreté de l’Etat et incarcéré pour ses écrits d’abord à la Prison la Force, puis à Sainte Pélagie et enfin à la Conciergerie[8].
Il épouse Ève Louise Poncelet de Mauvoir, veuve du vicomte de Lodin, dont il aura un enfant[9]. Après le décès d’Eve Louise il vit en compagnie de Marie-Adélaïde (Adèle) Juteau-Clément veuve de son ami et frère Maçon Clément, Directeur de la Monnaie[10]qu’il épousera en seconde noce en la cathédrale de Saint Denis de La Réunion en 1849.
En 1846, à Perpignan, il soutient la campagne électorale de François Arago qui est réélu député du Roussillon. Il rejoint ensuite Paris et l’administration des finances où il est nommé Receveur en 1848. En cette même année, la IIe République est proclamée et de grandes réformes sont mises en œuvre, comme les élections au suffrage universel et la liberté de la presse. Victor Schœlcher présente treize décrets, dont un qui abolit l’esclavage dans toutes les colonies françaises et un autre qui donne de larges pouvoirs aux Commissaires généraux de la République envoyés en outre-mer, pour les mettre en application.
Présenté par François Arago, Sarda-Garriga accepte un de ces postes tout en sachant que les choses ne se déroulent pas partout dans la sérénité, même si dans l’esprit de Schœlcher, le décret doit s’appliquer sans révolte, dans l’harmonie, tout en assurant le bon fonctionnement de l’économie.
Arrivant à Saint Denis, l’île est en ébullition, avec les Blancs qui redoutent de se faire massacrer ou d’être ruinés ; mais c’est la cessation du travail qui inquiète le plus les colons. Face à cette situation, un grand nombre de questions émergent, quid de la vie, de la subsistance alimentaire, du logement, du lieu de travail et du salaire des Noirs, ainsi que leur devenir en cas de maladie ou de vieillesse ?[11]
Il rencontre, les propriétaires pour les rassurer et les futurs affranchis pour leur expliquer leurs droits et leurs devoirs. Il prend des mesures complémentaires pour garder un équilibre : engagement obligatoire chez un employeur sous peine de vagabondage qui sera réprimé, attribution d’un état civil, légalisation civile des mariages, dédommagement des propriétaires. La manœuvre est judicieuse, et les colons en acceptent le principe[12]. Il libère ainsi les 60 000 esclaves. Il crée le Comptoir d’Escompte et de Prêt pour soulager les propriétaires les plus démunis[13]. S’il refuse aux propriétaires le report de l’abolition de l’esclavage, il exige des anciens esclaves d’avoir un contrat de travail d’une durée minimale d’un an.
Sarda Garriga est révoqué par le ministre de la marine et des colonies après l’élection du président Louis Napoléon Bonaparte. L’île est encore dans une situation difficile : départ des affranchis des propriétés où ils ont souffert, misère qui accable les malades et les personnes âgées, remplacement par les propriétaires de la force de travail insulaire par des immigrés d’Inde et de Ceylan, étrangers sans aucun droit, rémunérés avec un salaire dérisoire. La mortalité est accrue en raison de maladies : paludisme, choléra, vérole, associées aux mauvaises conditions d’hygiène et au paupérisme.
Il rentre en métropole en septembre 1850. Alors que sa situation est loin d’être florissante, Théodore Ducos, nouveau ministre de la Marine et des Colonies, le charge de la direction des services pénitentiaires et des fonctions de Gouverneur en Guyane avec pour mission d’intégrer les bagnards dans la population guyanaise. Il reçoit la Légion d’Honneur, lors de la promotion du 15 août 1852[14].
Cette mission échoue en raison de l’hostilité des colons, de l’afflux massif de forçats, le tout exacerbés par la carence de moyens. Il génère de nombreuses inimitiés chez les bourgeois, les notables, les jésuites. Sa relation avec Zélée, Elisabeth, Adèle Girard[15] à qui il voue un réel attachement (elle le soigne avec un grand dévouement lors d’une crise grave de paludisme à l'aide de médications créoles traditionnelles)[16], fait scandale et est dénoncée au ministre qui demande son rapatriement. En avril 1853, il rejoint Brest. Il se trouve dans une situation financière précaire aggravée par la maladie. Grâce à une souscription lancée en sa faveur sur l’île de La Réunion ainsi qu’une subvention annuelle du Conseil Général, il s’installe avec Zélée Girard au domaine du prieuré d’Heudreville qu’il met au nom de la jeune femme[17], sur le ban communal de Mesnil-sur-l’Estrée, dans l’Eure. Il décède le 8 septembre 1877 d’une crise cardiaque. Il est inhumé au cimetière communal sous une pierre tombale offerte par l’Académie de La Réunion.
[2] Promotion Sarda-Garriga 2011 – Amicale des Anciens d’Arago – Biographie de Sarda-Garriga extraite d’une conférence donnée par Marie-Claire et Yvan BASSOU, dans le cadre des animations culturelles de l’association Les Rendez-Vous de St Estève, texte auquel nous nous référons.
[3] Arago Etienne (1802-1892) : membre de la Loge « Les amis de la Vérité », à l’Orient de Paris)
[4] Constant Benjamin de Rebecque (1767-1830) : initié Franc-maçon à la Loge « St-Luc », à l’Orient d’Edinburgh, Ecosse
[5] Blanqui, Louis-Auguste (1805 - 1881) : membre des Loges « Les amis de la Vérité » et « Temple des Amis de l’Honneur Français », à l’Orient de Paris. (Fichier Jean Bossu - Bibliothèque Nationale – Paris).
[6] Blanc, Louis Jean Joseph (1811 - 1882) : initié Franc-Maçon à la Loge « Les Sectateurs de Mènes », à l’Orient de Londres(Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie - Daniel Ligou - Presses Universitaires de France- 1987), il é été membres de plusieurs loges en Angleterre et en France, (Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie - Daniel Ligou - Presses Universitaires de France- 1987)
[10] Promotion Sarda-Garriga 2011 – Amicale des Anciens d’Arago – Biographie de Sarda-Garriga extraite d’une conférence donnée par Marie-Claire et Yvan BASSOU, dans le cadre des animations culturelles de l’association Les Rendez-Vous de St Estève, texte auquel nous nous référons.
[11] Idem : Promotion Sarda-Garriga 2011 – Amicale des Anciens d’Arago.
[12] Maillot K. : « L’histoire de Sarda-Garriga » Publié le 20 Décembre 2008 sur le site Zinfos 974.
[13] Promotion Sarda-Garriga 2011 – Amicale des Anciens d’Arago – Biographie de Sarda-Garriga extraite d’une conférence donnée par Marie-Claire et Yvan BASSOU,.
[15] Zélée, Elisabeth, Adèle Girard, née Malin comme en fait foi la matrice cadastrale (Sarda Garriga : l’homme qui avait foi en l’homme par Jacques Denizet, édition CNH, Académie de la Réunion).
[16] Amicale des Anciens d’Arago, 2011 - Promotion SARDA-GARRIGA, p.23 (http://anciensdarago.com)
[17] Sarda Garriga : l’homme qui avait foi en l’homme par Jacques Denizet, édition CNH, Académie de la Réunion