Mais qui est Severiano de Heredia ?
Nous connaissons tous en effet le poète parnassien José Maria de Heredia (1842-1905), mais son cousin Severiano, à qui Paul Estrade (2) a consacré un ouvrage fort documenté est malheureusement tombé dans les oubliettes de l’histoire.
Son père Ignacio José de Heredia, avocat et riche planteur fut l’époux d’une Française, Madeleine Godefroy dont il n’eut pas d’enfant. Le 8 novembre 1836 Severiano naîtra à La Havane, de la liaison d’Ignacio José avec Brigida de Cardenas, une mulâtresse descendante d’esclaves africains. Après le décès de ses parents biologiques, l’éducation de l’enfant sera assurée par Madeleine Godefroy à Cuba puis en France où il serait arrivé, selon ses dires, à l’âge de 7 ou 8 ans.
Après de brillantes études au Lycée Louis le Grand, il collabora à la « Revue de Paris » (1857), au « Gaulois » (1859) puis à la « Revista Hispano-americana » (1865), pour entrer en 1868 comme rédacteur à la « Chronique ancienne et nouvelle » qui deviendra très vite « La chronique universelle ». Il écrira également dans une revue bimensuelle, « La réforme économique ».
Son train de vie était largement assuré par l’héritage paternel, particulièrement les revenus de la production sucrière de la vaste plantation cubaine dont il détenait le tiers.
Le 28 septembre 1870, Adolphe Crémieux, Garde des Sceaux et Ministre de la Justice signe le décret donnant la nationalité française à Severiano, mulâtre immigré cubain de 34 ans.
Il avait été initié le 3 janvier 1866 par la loge « L’étoile polaire », quartier des Batignolles ; Vénérable Maître[1] en 1874 il sera Président de Chapitre[2] puis membre du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France , Grand Orient auprès duquel il représente le Suprême Conseil[3] de Colon (Cuba).
Severiano dit s’être engagé en politique par le biais de la Franc-maçonnerie.
D’avril 1873 à octobre 1881 il fut Conseiller municipal de Paris au titre du quartier des Ternes ; il sera Président de ce Conseil du 1er août 1879 jusqu’à son élection en tant que Député radical du 17° arrondissement en 1881.
Libre penseur, ardent républicain, démocrate, il s’engage pour l’instruction « obligatoire pour tous, laïque et gratuite » qui triomphera avec les lois Ferry en 1881.
Severiano de Heredia milite pour la séparation des églises et de l’État comme pour l’instruction des jeunes filles et des femmes ; en 1883 il sera d’ailleurs membre de la Ligue française pour les droits de la femme. À la recherche de solutions concrètes aux problèmes sociaux, notamment au sort des plus démunis, il travaille à la protection et la solidarité des travailleurs, à l’assurance contre les accidents, mais aussi à la surveillance des enfants en bas âge comme à la création d’un crédit coopératif et d’une bibliothèque municipale de prêt gratuit.
Promu Ministre des Transports en Mai 1887, il sera un fervent défenseur de la construction du métropolitain : les études techniques seront achevées en Octobre mais le projet devra attendre 1896 pour être adopté par le Conseil Municipal de Paris ... Mais le gouvernement Rouvier auquel appartenait S.de Heredia était tombé bien longtemps auparavant, le 19 novembre 1887.
Redevenu député, opposé au boulangisme, sa carrière politique prendra fin après deux échecs aux élections législatives de 1889 et août 1893. Ses dernières années seront consacrées à la littérature et à la gestion de ses affaires.
Il meurt le 9 février 1901, à son domicile parisien de la rue de Courcelles et repose dans la plus extrême discrétion au cimetière des Batignolles.
Tel fut Severiano de Heredia « ce mulâtre cubain que Paris fit maire et la République ministre » (2), promoteur des relations avec l’Amérique latine et sympathisant des combattants pour l’indépendance cubaine. Vite effacé des mémoires, il fut pourtant, par la modernité de sa pensée, comme par ses actes, un de ces immigrés qui ont fait la France, en dépit de la force des préjugés.
Laissons la conclusion à Paul Estrade :
« A l’heure où se posent, lourdes de glissements dangereux, la question de la définition de l’identité nationale, la question de l’accession de membres des « minorités ethniques » à des responsabilités en vue dans une société plurielle, la question des quotas migratoires et de l’expulsion brutale des étrangers, la question du bilan du colonialisme et de l’esclavage, ainsi que, dans un autre domaine, la question du respect de la laïcité de l’Etat et de la liberté de conscience des individus en dehors de tout dogmatisme religieux et de tout communautarisme, l’exemple de Severiano de Heredia n’a-t-il rien à nous dire, à nous Français de toutes origines et de toutes sensibilités ? » (2)
POUR EN SAVOIR PLUS
Estrade Paul : Severiano de Heredia – Ce mulâtre cubain que Paris fit « maire » et la République, ministre. Les Indes savantes Paris 2011
[1] Président d’une loge travaillant aux trois premiers degrés
[2] Loge travaillant au 18° degré
[3] Instance supérieure des ateliers de hauts grades (au-delà des trois premiers degrés)
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