Jouons !! Qui suis-je ?
Figure populaire internationale du monde artistique, j’incarne pour les uns, une des femmes les plus exceptionnelles du XXe siècle quand d’autres me considèrent comme la première célébrité féminine noire.
Prénommée Freda J., appelée affectueusement « Tumpie », je suis née le dimanche 3 juin 1906 à Saint Louis (Missouri), d’une mère danseuse, métisse afro-américaine et amérindienne, et d’un père présumé, musicien de rue itinérant d’origine espagnole[1]. Il nous abandonne lorsque j’ai un an[2] et ne m’a jamais reconnue. Bien qu’il ne vous dise probablement rien, je fais mien le patronyme de McDonald, celui du second mari de ma mère.
Mon enfance misérable, dans une Amérique ségrégationniste, est marquée par des conditions de vie difficiles. Pour aider à subvenir aux besoins de ma famille, je suis placée, malgré mon très jeune âge comme domestique, servante d’une famille blanche[3]. J’y suis maltraitée, je dors dans une caisse à la cave avec le chien de la maison[4] et suis brulée volontairement[5]. Je m’enfuis pour rejoindre ma grand-mère.
A l’âge de 12 ans, je quitte l’école[6] et travaille comme serveuse. Aimant le monde du spectacle, je suis engagée en tant qu’habilleuse dans une troupe se produisant au théâtre Booker T. Washington[7] ainsi nommé en l’honneur d’un des défenseurs des droits civiques des personnes de couleurs[8]. J’y commence à danser à la suite de l’absence d’une danseuse[9].
Ma passion pour la danse me conduit à voyager, me produisant dans différentes villes, des Etats-Unis avec plusieurs troupes. A New York, je suis à l’affiche d’une revue musicale à Broadway « Shuffle Along »[10]. Ce spectacle créé par les Frères Eubie Blake[11] et Noble Sissle[12] me fait connaître, aux côtés d’autres acteurs notamment Paul Robeson[13].
Je continue ainsi mon chemin et je fais une rencontre qui change ma vie et me conduit vers mon pays d’adoption la France.
Ma vie conjugale est ponctuée de quatre mariages ; le premier à l’âge de 13 ans, éphémère, avec un ouvrier fondeur, Willie, le second à l’âge de 16 ans, avec un bagagiste travaillant dans une entreprise ferroviaire (du Frère George Mortimer Pullman[14]), William Howard, dont je conserve le nom, le troisième, un industriel français ayant fait fortune dans le sucre raffiné, Jean, et ensuite avec un chef d’orchestre, Jo, avec lequel je fonde une famille. J’échange une dernière fois mes vœux avec un artiste collectionneur d’art Robert, sans toutefois convoler en justes noces[15].
L’histoire me prête également d’autres romances avec l’écrivain George Simenon ou encore avec un scénariste ancien tailleur de pierre Giuseppe Abatino.[16]
Le Frère Charles-Édouard Jeanneret-Gris[17], plus connu sous son pseudonyme « Le Corbusier », aurait eu un coup de foudre pour moi, sur le bateau qui nous ramène du Brésil. Une liaison entre nous reste cependant du domaine de l’imaginaire[18].
Je déclare que : « Tous les hommes n’ont pas la même couleur, le même langage, ni les mêmes mœurs, mais ils ont le même cœur, le même sang et le même besoin d’amour »[19].
Bien que mariée, j’entretiens discrètement des relations amoureuses avec plusieurs amantes célèbres au rang desquelles figurent l’écrivaine français Colette et la peintre Frida Kahlo[20].
En 1938, je milite dans les rangs de la Ligue Internationale contre l’antisémitisme qui inclut en 1979 également la lutte contre le racisme[21].
Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, ayant obtenu la nationalité française, je m’engage au service du contre-espionnage[22] sous les ordres du commandant Jacques Abtey[23] à qui je déclare lors d’une rencontre : « C’est la France qui m’a fait ce que je suis, je lui garderai une reconnaissance éternelle. [...] Ne suis-je pas devenue l’enfant chérie des Parisiens. Ils m'ont tout donné, en particulier leur cœur. Je leur ai donné le mien. Je suis prête, capitaine, à leur donner aujourd’hui ma vie. Vous pouvez disposer de moi comme vous l’entendez »[24]
En 1939, artiste renommée dans la période de l’entre-deux guerres, je fréquente le tout Paris mondain tout en me mobilisant pour la Croix Rouge[25]. Je récupère des informations lors de soirées et je les transmets au cours de mes voyages. Ces renseignements sont inscrits à l’encre sympathique dans mes partitions musicales ou je les dissimule à l’intérieur de mes robes[26].
En 1940, lors de l’invasion de la France par les troupes allemandes, je quitte Paris pour la Dordogne et m’engage dans les services secrets de la France Libre. Passée au Maroc après un périple en Espagne et au Portugal, je soutiens le moral des troupes alliées aux cours d’une tournée me menant dans différents pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.[27]
Titulaire du brevet de pilote, je m’engage dans l’armée de l’air où je suis affectée au bataillon 117, avec la fonction d’Officier chargé de la propagande. De retour en France, je poursuis mes activités à la Croix-Rouge, et chante pour les soldats et résistants du front, suivant avec mes musiciens, la progression de la 1re Armée française.[28]
Ma conduite héroïque durant la guerre me vaut la Médaille de la Résistance avec rosette, la Médaille commémorative des services volontaires de la France Libre, la Croix de guerre 1939 -1945 avec palme et la Croix de la libération. Plus tard je reçois les Insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains du général Vallin[29].
Je suis initiée, Franc-Maçonne le 6 mars 1960, par la Loge « La Nouvelle Jérusalem » de la Grande Loge Féminine de France à l’Orient de Paris[30]. Bien que les circonstances restent sibyllines, j’en suis radiée en 1964 par manque d’assiduité[31] ou pour irrégularité envers le trésor de ma Loge[32].
Je participe le 28 Août 1963 à la Marche pour le travail[33] et la liberté vers Washington : elle rassemble de nombreux défenseurs des droits civiques notamment Asa Philip Randolph, Whitney Young, tous deux francs-maçons[34].
En 1951, la branche new-yorkaise de la NAACP (association nationale pour la promotion des gens de couleur) attribue mon nom à la journée du 20 mai en honneur de mon combat militant en faveur des droits civiques.[35]
Après accouchement d’un enfant mort-né[36], j’adopte douze enfants de nationalités différentes que j’appelle affectueusement ma « tribu arc-en-ciel », afin de démontrer que la cohabitation de « races » différentes peut fonctionner[37].
En 1947, j’acquiers un château avec mon conjoint « Le domaine des Milandes » construit en 1489 au cœur du Périgord, ainsi qu’une bonne partie du village de Castelnau-la-Chapelle[38].
« [Nous souhaitons]… en faire le village du monde et la capitale de la fraternité universelle afin de montrer au monde entier que des enfants de nationalités et de religions différentes pouvaient vivre ensemble dans la paix »[39]
Mauvaise gestionnaire, je suis conduite à la faillite et demande assistance. Brigitte Bardot, sensible à mon appel de détresse participe à la tentative de sauvetage de ma propriété[40], sans succès.
Pratiquement ruinée, mon amie et compatriote, la princesse Grace de Monaco, me vient en aide et m’offre, ad vitam, un logement à Roquebrune-Cap Martin et m’invite à Monaco pour des spectacles de charité[41].
Décédée à Paris le 12 Avril 1975 après un accident vasculaire cérébral, je reçois les honneurs militaires. Mes funérailles ont lieu en l’église de la Madeleine, puis je suis inhumée au cimetière de Monaco.
Si vous ne m’avez pas encore reconnue, voici quelques indices supplémentaires. Je suis la première femme noire à jouer dans un grand film muet « La Sirène des Tropiques »[42].Chanteuse, danseuse, actrice, je deviens meneuse de revue au « Folies Bergères » et au « Casino de Paris ». Je me produis dans la « Revue nègre ». Surnommée la « Vénus noire », je danse sur des musiques, au rythme du Charleston. Je remporte un succès inoubliable avec la chanson « J’ai deux amours ». Actrice, je suis l’héroïne de deux films « Zouzou » puis « Princesse Tam-Tam »[43].
Quelques voix s’élèvent pour que l’on m’ouvre les portes du Panthéon, en raison mon engagement au service de l’altérité pour vivre en Fraternité[44], et au matin du 22 août 2021 « Le Parisien[45] » informe la France entière que j’y entrerai le 30 Novembre prochain.
** Extrait de “Qui suis-je ? Mélanges biographiques et historiques.” (Titre provisoire) par M.Meley et V.Hoffman à paraître fin 2021 chez Numérilivre.
[1] Bryan Hammond et Patrick O’Connor, “J????? ?????”, Cape, 1988, p. 2.
[2] Phyllis Rose, Jazz Cleopatra:” J???? ????? in Her Time”, Doubleday, 1989, p. 26.
[3] Whitaker, Matthew C. (2011). « Icônes de l'Amérique noire : briser les barrières et franchir les frontières ». p. 64.
[4] « Le 12 avril 1975, J ????? ????? décédait ». Jean-Pierre Hauttecœur. (La Croix du 13 avril 1975) (https://www.la-croix.com/Archives/Ce-Jour-la/Le-12-avril-1975-J?????-???...)
[5] « J ????? ????, une femme libre et militante » (https://la1ere.francetvinfo.fr/josephine-????-une-femme-libre-et-militante-400857.html )
[6] Matthews, Dasha (26 février 2018). « L'activisme de ???? ???? ». Centre des femmes UMKC. Récupéré le 6 septembre 2020.
[7] Washington, Booker Taliaferro (1856 - 1915): Mason « at sight », by Prince Hall Grande Loge of Massachussetts (Masonic Philately - Trevor J. Fray - Harry Hayes - Philatelic Study – 1988)
[8] Le Booker T. Washington Theatre: Trésors du cinéma | Booker Washington Theatre
[11] Blake, James Hubert dit « Eubie » (1883 - 1983) : membre de la Loge « Medina » n° 19 (Prince Hall) à l’Orient de Medina (The Masonic Study Unit, A.T.A (American Topical Association) USA, masonic study unit, p1164) et membre de la Loge « Hiram » n°4 (Prince Hall), à l’Orient de New-York (Masonic philatelist, special anniversary edition, summer 2014, masonic musician, Allan Boudreau, Christopher L Murphy, Jim Tresner, Robert A Dominge.)
[12] Sissle Noble Lee (1889 – 1975): membre de la Loge « Medina » n° 19 (Prince Hall) à l’Orient de Medina (The Masonic Study Unit, A.T.A (American Topical Association) USA, masonic study unit, pp1164, 2449)
[13] Robeson, Paul LeRoy Bustill (1898 - 1976): member de la Loge « New Jersey” (Prince Hall), à l’Orient de New Jersey (The Masonic Philatelic Club Magazine, January 2016 issue 151 p.11)
[14] Pullman, George Mortimer (1831 - 1897), membre de la Loge « Renovation n° 97 », a l’Orient d’Albion, Etats-Unis New-York (10 000 Famous Freemasons - W.R. Denslow – USA) et (The Masonic Study Unit, A.T.A (American Topical Association) USA, masonic study unit, page 846)
[17] Le Corbusier, né Jeanneret-Gris, Charles-Édouard (1887 - 1965) : membre de la Grande Loge Suisse Alpina et affilié à la Loge « La Réelle Fraternité », à l’orient de Besançon (The Masonic Study Unit, A.T.A (American Topical Association) USA, masonic study unit, page 2015 et 2185)
[20] Baker, Jean-Claude (1993). « J ?????»: The Hungry Heart (première éd.). Maison aléatoire. ISBN 978-0679409151.
[21] Roger Faligot, « J ????? ??????, notre agent à La Havane », Vanity Fair, no 8, février 2014, p. 148-157.
[22] Kevin Labiausse, « J ?????? B ????? au service de la France Libre » [archive], Le Patriote résistant, octobre 2006.
[23] Chef du contre-espionnage militaire de Paris
[24] Jacques Abtey, « La Guerre secrète de Joséphine ???? », Éditions Siboney, 1948
[28] Jean-Luc Barré, « ?????, J ????? (1906-1975) », in Claire Andrieu, Philippe Braud, Guillaume Piketty (dir.), Dictionnaire de Gaulle, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006.
[29]http://www.musiquesregenerees.fr/GhettosCamps/Clandestinite/?????/?????J?????AuServiceDeLaFrance Libre.html
[30] Petite Encyclopédie de la Philatélie Maçonnique. Michet KHAYAT - Hugues NINO - Jean PROUTEAU: Club Philatélique Jean Théophile Désaguliers - La Rochelle - France
[32] Marc de Jode. Monique et Jean Marc Cara : Dictionnaire universel de la Franc-Maçonnerie Larousse Présent 2011, p111.
[34] Randolph, Asa Philip (1889 - 1979) : initié à lé Loge « Joppa », n° 55, Prince Hall Grande Loge de New York (The Masonic Study Unit, A.T.A (American Topical Association) USA, masonic study unit pp 636, 747, 1031), Young, Whitney Moore, Jr (1921 - 1971) : membre de la Loge « Rescue », n° 4, à l’orient d’Omaha, Nebraska (Petite Encyclopédie de la Philatélie Maçonnique. Michel KHAYAT - Hugues NINO - Jean PROUTEAU : Club Philatélique Jean Théophile Desaguliers - La Rochelle - France)
[35] « J ??????? ?????, la résistante franco-américaine.» (https://france-amerique.com/j???????-?????-la-resistante-franco-americaine/)
[36] Bennetta Jules-Rosette, « J?????? B ?????? in Art and Life», University of Illinois Press, 2007, p. 290.
[37] « Vivre un idéal de fraternité universelle : la « Tribu Arc-en-ciel » de J ?????? B ???? » [archive] par Yves Denéchère.
[40] « Brigitte Bardot, Initiales B.B. : Mémoires », Grasset, 1996 (ISBN 978-2-2465-2601-8), p. 340.
[41] Stéphane Bern, « Monaco et les princes de Grimaldi », émission Secrets d’Histoire sur France 2, 11 septembre 2012.
[42] Atwood, Kathryn (2011). « Femmes héros de la Seconde Guerre mondiale » . Chicago Review Press . p. 77. ISBN 978-1556529610.
[44]« Et si Joséphine ???? entrait au Panthéon (http://www.souslavouteetoilee.org/article-et-si-j???????-??????-entrait-...)
[45] Beaumont O. : « Joséphine ??? entrera au Panthéon le 30 novembre : les coulisses de la décision d’Emmanuel Macron » . Le Parisien. 22Août 2021