Humanisme et Intelligence Artificielle - Partie 1

Humanisme et Intelligence Artificielle - Partie 1

L’Intelligence Artificielle (I.A) va bouleverser tout ce que nous faisons : c’est une nouvelle révolution. Son explosion va se poursuivre avec la logique du marché et des techniques qui engendrent des profits énormes et immédiats. Elle va s’inviter dans tous les secteurs, dans tous les métiers et on peut en attendre des changements économiques, sociaux, intellectuels, philosophiques… etc. Ce bouleversement irréversible nous concerne tous ; nous devons nous y préparer et y préparer nos enfants.

La civilisation numérique questionne évidemment les francs-maçons à propos des valeurs humanistes qu’ils portent depuis 3 siècles.

Sujet inépuisable voire sujet gigogne, l’humanisme est pluriel, en évolution permanente. C’est une valeur, mais aussi une source de valeurs qui se manifestent dans la recherche et la défense de la dignité humaine. Il place l’être humain et son progrès au centre de ses préoccupations… il est conçu par l’Homme et pour l’Homme (homoet non viro). Nous devons repenser l’humanisme et ses valeurs avec l’évolution de notre monde qui remet l’humain en question par les bouleversements biotechnologiques (IA, génome…). Dans un optimisme du progrès, des sciences, des techniques, il doit y avoir en filigrane la notion de progrès pour l’humain ce qui implique une finalité humaniste explicite.

L’I.A excelle d’ores et déjà dans tout ce qui concerne les travaux répétitifs comme pour l’analyse dans les domaines qui traitent beaucoup de données. Elle est capable de prouesses dans des tâches très spécifiques faisant intervenir des aspects très étroits de l’intelligence, mais on ne peut pas parler d’une intelligence générale[1]. De plus, l’IA possède deux capacités qui manquent à l’humain : la connectivité et l’actualisation[2]. Parmi les domaines d’élection de l’IA citons notamment les transports, la prise en charge des séniors[3], la santé[4].

L’humain n’est donc plus le seul en capacité d’accomplir des tâches nécessitant beaucoup d’intelligence et les machines offrent de nombreux avantages : coût moindre après amortissement, disponibilité permanente (ni maladie, ni congé), obéissance parfaite, absence de fatigabilité, de revendication, de grève. Quel que soit leur nombre dans l’entreprise, les machines n’entrent pas dans le calcul des seuils imposant des représentants du personnel. Enfin, comme évoqué (cf. supra) elles travaillent en réseau et s’actualisent rapidement et simultanément au sein même du réseau.

Au milieu d’un océan d’incertitudes, il importe donc de savoir ce que nous tenons à préserver pour définir un socle commun de protection de l’humanité.

Pour que l’avenir soit résolument humain, l’IA doit être au service de l’homme et non l’inverse. Elle doit être un moyen et non une fin.

Les conséquences de ces avancées techniques et technologiques sur l’emploi sont celles qui inquiètent le plus.[5]Sont appelés à disparaitre les emplois manuels, les emplois aux tâches les plus répétitives, les télédémarcheurs, les courtiers en assurances, comme les emplois qui font appel à l’analyse de grandes quantités de données (imagerie médicale, professions juridiques, comptables, archivistes) sans oublier, au sein des entreprises la définition des profils et la recherche d’emplois, l’attribution des postes de travail en fonction des souhaits et des aptitudes, la distribution des tâches et la gestion du temps de travail.

Par la perte d’emplois, de repères, par la déshumanisation du travail, l’humain risque d’être privé de ce qui faisait sens pour lui.

L’IA est un outil puissant pour aider l’Homme et son impact va bien au-delà des emplois. Il importe cependant de se souvenir que ce n’est pas la technologie qui est dangereuse, mais bien l’usage que l’on en fait.

Avons-nous conscience de la complète désynchronisation entre notre cerveau qui évolue très peu, l’Intelligence Artificielle et les NBIC[6]qui évoluent à pleine vitesse[7]alors que nos institutions politiques, scolaires, voire universitaires, sont à la traine ?

Avons-nous conscience d’alimenter les bases de données à partir desquelles les programmes sont capables d’orienter nos besoins, de guider des décisions voire d’influencer des votes (Cambridge analytica) ? La gouvernance algorithmique pose un authentique problème de souveraineté et de démocratie.

Avons-nous conscience des risques liés à la gestion des données qui représentent une richesse énorme à partir de laquelle apprennent les machines ? Tout ce qui se rédige à partir d’un clavier cesse d’être confidentiel et par l’analyse d’un très gros volume d’informations on peut rapprocher les données sociales, médicales, commerciales, voire techniques, à la recherche d’associations inédites, ce que ne permettait pas la statistique classique. Ces données doivent être protégées : certes il existe un règlement européen RGPD[8]innovant et positif, mais ce sont bien les entreprises U.S. qui conservent la possibilité de rapatrier nos données chez elles[9]. Que penser du transfert et de l’exploitation des données de la DGSI [10]par la firme américaine PALANTIR, start-up financée par la CIA ? Qu’en sera-t-il du fichier « Titres électroniques sécurisés » regroupant les informations personnelles de 60 millions de Français ? Que penser des relations du Com-Cyber[11]avec les GAFA[12] ?

La protection des données, qu’il s’agisse de leur propriété, de leur maîtrise, de leur exactitude, de leur partage est impérieuse et mériterait un consensus international.

On ne peut ignorer les risques d’un usage malveillant de l’IA tant en matière d’armement que de vulnérabilité des entreprises industrielles et commerciales, sans négliger les risques de manipulation ou de désinformation.

L’IA faible est « un domestique », ce qui n’est plus le cas de l’IA forte pour laquelle on ignore à quel rythme elle pourrait accéder à la phase d’intelligence conceptuelle voire à la phase de conscience artificielle, mais cela pose clairement le problème de la sécurité à laquelle tout humain a droit.

Aujourd’hui, le danger est plus dans les bugs, la cybercriminalité voire le monopole de telle ou telle organisation que dans le fantasme d’une IA qui prendrait le contrôle. D’ailleurs, sauf si elle est programmée pour cela, on peut se demander pourquoi une IA aurait envie de prendre le contrôle …et de quoi ?

Enfin, l’informatique étant très consommatrice en matériaux difficiles à recycler, en énergie[13]on imagine sans peine l’impact écologique de cette évolution technologique (réchauffement climatique, pollution, biodiversité, réduction des ressources).

Il apparait donc que le plus grand danger de l’IA, ce n’est pas l’IA, mais bien le renoncement de l’humain.

Pourtant, l’Homme ne manque pas d’atouts. Nous avons déjà évoqué les tâches moins routinières, moins répétitives, celles nécessitant des capacités d’adaptation, les fonctions dans le domaine des relations humaines, de la créativité… etc. N’oublions pas qu’un algorithme n’a aujourd’hui ni envie, ni plaisir, ni bonheur, ni sentiment, ni émotion pas plus qu’il n’a de génie novateur, de capacité d’improvisation voire d’aptitude à l’erreur… Et c’est précisément tout cela qu’il faut protéger si l’on veut un avenir résolument humain.

Nous pouvons utiliser cette mutation technologique pour améliorer le sort de l’humanité au lieu de la laisser devenir l’instrument d’un système qui nous échappe. Mettons à profit cette opportunité pour résoudre quelques questions majeures (intégration des travailleurs handicapés, des séniors, inégalités, discriminations), pour parvenir à une réelle mixité, sans distinction de genre, d’ethnie, de croyance ou autre et pour parvenir enfin à une égalité salariale.

En somme, ne succombons ni à la peur ni à l’optimisme béat. 

« Nous devons nous saisir du progrès inéluctable pour bâtir un mode fondé sur des valeurs humanistes, au lieu de regarder de loin les automatismes prendre le contrôle ».[14]

 

[1]                Par exemple, une intelligence qui serait également à l’aise pour examiner un scanner, conduire un véhicule et éduquer un enfant.

[2]                Connectivité : par exemple connexions possibles entre les voitures autonomes – Actualisation simultanée des systèmes
                         (exemple : modification de règlements, codes etc…)

[3]                Qualité de vie et aide à l’indépendance, santé et bien-être, traitements et dispositifs médicaux

[4]                Recueil des données, aide au diagnostic et à la prescription mais aussi robotique de service, robotique chirurgicale
                         (ex : le robot Da Vinci utilisé de façon routinière en urologie) 

[5]                La peur de la fin du travail est très ancienne et n’a pas été inventée par Jeremy Rifkin dans son ouvrage de « La fin du travail » paru chez G.P. Putman’s Sons USA. Citons 

  • Vespasien 60 ans après JC quand il s’agit de reconstruire le Capitole incendié et le temple de Jupiter. Alors qu’on lui propose une machine susceptible de transporter plus vite et à moindre coût les immenses colonnes, les ouvriers craignent de perdre leur travail …Vespasien recule et choisit de maintenir l’équilibre social par ces mots : « permettez que je nourrisse le pauvre peuple »
  • Elisabeth 1° d’Angleterre refusant la machine à tricoter les bas du révérend William Lee en 1589
  • Les parisiens devaient mourir quand en 1793 on a supprimé les 2900 porteurs d’eau.

[6]                Nano technologies, Biotechnologie, Informatique, Sciences cognitives

[7]                L’ordinateur quantique est beaucoup plus rapide et sa capacité de décryptage (notamment des codes) est des milliers de fois plus rapide d’où un danger économique, commercial, industriel

[8]                Règlement Général de la Protection des Données

[9]                Le « Patriot act » oblige toutes les sociétés U.S. à transmettre au gouvernement les informations sensibles qu’elles détiennent

[10]              Direction Générale de la Sécurité Intérieure

[11]               Commandement de la Cyber défense française

[12]              Google-Amazon-Facebook-Apple

[13]              On estime que le stockage des data dans ces « fermes de données » consomme 10% de l’énergie électrique mondiale.

[14]              Hervé Cuillandre