1981-2021 : célébrons les 40 ans de l'abolition de la peine de mort !
« Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne. »
Victor Hugo,
Le dernier Jour d’un condamné.
Le dessin utilisé est une création de Plantu dans le Monde.
Nous célébrons le 9 octobre le 40ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort ; nous ne pouvons faire l’impasse sur cet événement, nous qui avons pour devoir de travailler au progrès de l’humanité.
L’abolition de la peine de mort a mobilisé au fil des siècles de nombreux intellectuels, philosophes, juristes, hommes politiques illustres, unis dans un même combat. Depuis Voltaire qui plaide pour une justice plus humaine en s’opposant au principe de la peine de mort, chaque siècle a vu se lever ses abolitionnistes. Au XIXème siècle, Victor Hugo harangue l’Assemblée Constituante le 15 septembre 1848. Depuis de nombreuses années, ses compagnons de lutte : Alphonse de Lamartine, Victor Schoelcher et beaucoup d’autres se sont engagés pour qu’enfin soit aboli ce qu’ils considèrent comme un réel acte de barbarie. Ils échouent de peu, mais leurs actions ont fait progresser l’idée. Et le flambeau est repris au XXème siècle par de nombreux humanistes de tous bords : Jean Jaurès, Aristide Briand, Albert Camus, Arthur Koestler, pour ne citer qu’eux. Il faudra attendre 1981, pour qu’enfin, définitivement, soit abolie la peine de mort dans notre pays.
C’est Robert Badinter, par son discours à l’Assemblée Nationale, le 18 septembre 1981, sous le mandat de François Mitterrand, qui saura convaincre ses pairs du bien-fondé de cette décision. La loi fut promulguée le 9 octobre 1981 et publiée au Journal Officiel le 10 octobre 1981.
Aujourd’hui le combat n’est pas terminé, il se poursuit visant à rendre cette abolition universelle. Selon l’organisation non gouvernementale Amnesty International, en effet, plus de 55 Etats ou territoires dans le monde appliquent encore la peine de mort.
Extraits du discours prononcé par Victor Hugo à l’Assemblée Constituante le 15 septembre 1848
« L’exemple, le bon exemple donné par la peine de mort, nous le connaissons. Il a eu plusieurs noms. Chacun de ces noms exprime tout un ordre de faits et d’idées. L’exemple s’est appelé Montfaucon, il s’est appelé la place de Grève, il s’appelle aujourd’hui la barrière Saint-Jacques. Examinez les trois termes de cette progression décroissante. Montfaucon, l’exemple terrible et permanent ; la place de Grève, l’exemple qui est encore terrible mais qui n’est plus permanent ; la barrière Saint-Jacques qui n’est plus ni permanent, ni terrible, l’exemple inquiet, honteux, timide, effrayé de lui-même, l’exemple qui s’amoindrit, qui se dérobe, qui se cache. Le voilà à la porte de Paris, prenez garde, il va s’en aller ! Il va disparaître !
Qu’est-ce à dire ? Voilà qui est singulier ! L’exemple qui se cache, l’exemple qui fait tout ce qu’il peut pour ne pas être l’exemple (…) C’est la sainte pudeur de la société qui détourne la tête devant un crime que la loi lui fait commettre.
Cela prouve que la société a conscience de ce qu’elle fait et que la loi ne l’a pas. (…)
Voyez, examinez, réfléchissez. Vous tenez à l’exemple. Pourquoi ? Pour ce qu’il enseigne. Que voulez-vous enseigner avec votre exemple ? Qu’il ne faut pas tuer. Et comment enseignez-vous qu’il ne faut pas tuer ? En tuant.
En France, l’exemple se cache à demi. En Amérique, il se cache tout à fait. (…) De deux choses l’une : ou l’exemple donné par la peine de mort est moral, ou il est immoral. S’il est moral, pourquoi le cachez-vous ? S’il est immoral, pourquoi le faites-vous ?
Pour que l’exemple soit l’exemple, il faut qu’il soit grand ; s’il est petit, il ne fait pas frémir, il fait vomir. D’efficace il devient inutile, d’enrayant, misérable, il ressemble à une lâcheté. Il en est une. La peine de mort furtive et secrète n’est plus que le guet-apens de la société sur l’individu.
Soyez donc conséquent. Pour que l’exemple soit l’exemple, il ne suffit pas qu’il se fasse, il faut qu’il soit efficace. Pour qu’il soit efficace, il faut qu’il soit terrible ; revenez à la place de Grève ! Il ne suffit pas qu’il soit terrible, il faut qu’il soit permanent ; revenez à Montfaucon ! Je vous en défie. (…)
Savez-vous ce qui est triste ? C’est que c’est sur le peuple que pèse la peine de mort. Vous y avez été obligés, dites-vous. Il y avait dans le plateau de la balance l’ignorance et la misère, il fallait un contrepoids dans l’autre plateau, vous y avez mis la peine de mort. Eh bien ! ôtez la peine de mort, vous voilà forcés, entendez-vous ? d’ôter aussi l’ignorance et la misère. Vous êtes condamnés à toutes ces améliorations à la fois. Vous parlez souvent de nécessité, je mets la nécessité du côté du progrès en vous contraignant d’y courir, par un peu de danger au besoin.
Ah ! vous n’avez plus la peine de mort pour vous protéger. Ah ! Vous avez là devant vous, face à face, l’ignorance et la misère, ces pourvoyeuses de l’échafaud, et vous n’avez plus l’échafaud ! Qu’allez-vous faire ? Pardieu, combattre ! Détruire l’ignorance, détruire la misère ! C’est ce que je veux.
Oui je veux vous précipiter dans le progrès ! (…) Législateurs, économistes, publicistes, criminalistes, je veux vous pousser par les épaules dans les nouveautés fécondes et humaines comme on jette brusquement à l’eau l’enfant auquel on veut apprendre à nager. Vous voilà en pleine humanité, j’en suis fâché, nagez, tirez-vous de là ! »
Contre la peine de mort (Odes politiques)
Extraits
Alphonse de Lamartine
(Au peuple du 19 octobre 1930)
(…)
Souviens-toi du jeune poète,
Chénier ! dont sous tes pas le sang est encor chaud,
Dont l’histoire en pleurant répète
Le salut triste à l’échafaud.
Il rêvait comme toi, sur une terre libre
Du pouvoir et des lois le sublime équilibre ;
Dans ses bourreaux il avait foi !
Qu’importe ? Il faut mourir, et mourir sans mémoire :
Eh bien ! mourons, dit-il. Vous tuez de la gloire :
J’en avais pour vous et pour moi !
(…)
Peuple, dirais-je ; écoute ! et juge !
Oui, tu fus grand, le jour où du bronze affronté
Tu le couvris comme un déluge
Du reflux de la liberté !
Tu fus fort, quand pareil à la mer écumante,
Au nuage qui gronde, au volcan qui fermente,
Noyant les gueules du canon,
Tu bouillonnais semblable au plomb dans la fournaise
Et roulais furieux sur une plage anglaise
Trois couronnes dans ton limon
(…)
Dans un aveuglement funeste
Ils te poussent de l’œil vers un but odieux,
Comme l’enfer poussait Oreste, En cachant le crime à ses yeux !
La soif de la vengeance, ils l’appellent justice :
Eh bien, justice soit ! Est-ce un droit de supplice
Qui par tes morts fut acheté ?
Que feras-tu, réponds, du sang qu’on te demande ?
Quatre têtes sans tronc, est-ce donc là l’offrande
D’un grand peuple à sa liberté ?
(…)
Veux-tu que sa liberté feinte
Du carnage civique arbore aussi la faux ?
Et que partout sa main soit teinte
De la fange des échafauds ?
Veux-tu que le drapeau qui la porte aux deux mondes,
Veux-tu que les degrés du trône que tu fondes,
Pour piédestal aient un remords ?
Et que ton Roi, fermant sa main pleine de grâces,
Ne puisse à son réveil descendre sur tes places,
Sans entendre hurler à la mort ?
(…)
Le jour qu’oubliant ta colère,
Comme un lutteur grandi qui sent son bras plus fort,
De l’héroïsme populaire
Tu feras le dernier effort ;
Le jour où tu diras : Je triomphe et pardonne !...
Ta vertu montera plus haut que ta colonne
Au-dessus des exploits humains ;
Dans des temples voués à la miséricorde
Ton génie unira ta force et ta concorde,
Et les siècles battront des mains !
(…)
Peuple, diront-ils, ouvre une ère
Que dans ses rêves seuls l’humanité tenta,
Proscris des codes de la terre
La mort que le crime inventa !
Remplis de ta vertu l’histoire qui la nie,
Réponds par tant de gloire à tant de calomnie !
Laisse ta pitié respirer !
Jette à tes ennemis des lois plus magnanimes,
Ou si tu veux punir, inflige à tes victimes
Le supplice de t’admirer !
Quitte enfin la sanglante ornière
Où se traîne le char des révolutions,
Que ta halte soit la dernière
Dans ce désert des nations ;
Que le genre humain dise en bénissant les pages ;
C’est ici que la France a de ses lois sauvages
Fermé le livre ensanglanté ;
C’est ici qu’un grand peuple, au jour de la justice,
Dans la balance humaine, au lieu d’un vil supplice, Jeta sa magnanimité.
Quelques références :
- Voltaire, L’affaire du Chevalier de La Barre
- Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un Condamné
- Albert Camus, L’Etranger
- Le Premier Homme
- Réflexions sur la guillotine
- Arthur Koestler, Réflexions sur la potence
- Camus et Koestler, Réflexions sur la peine capitale
- Robert Badinter, L’Abolition