Historique et symbolisme de la gare de Metz
Par cette publication nous voulons honorer la mémoire de notre Sœur Simone G., franc-maçon du Droit Humain, qui en 1991 présenta ce travail devant une loge messine dont elle était membre fondateur. « Georges Troispoints » vous propose ce précieux rappel, ou vous offre le plaisir d’une découverte.
UNE GARE MILITAIRE
Après avoir souligné l’essor des gares et du réseau ferroviaire à la fin du xixe siècle, leur rôle de symbole de la révolution industrielle et leur importance dans l’unification du pays, Simone G. rappela l’histoire des premières gares messines. La première gare de Metz, construite en 1850, n’était qu’un débarcadère pour une voie unique avec quelques bâtiments provisoires en bois, réservés au service. Une deuxième voie fut construite quelques mois après, ainsi qu’un bâtiment destiné aux voyageurs, devenant la deuxième gare.
Une troisième gare, toujours en bois, appelée « Gare de la porte Serpenoise » est mise en service en avril 1853. Détruite lors d’un incendie, en juillet 1872, après l’Annexion, elle sera reconstruite provisoirement sur les mêmes plans, mais cette fois, avec une ossature métallique. Une nouvelle gare, la quatrième, a donc été construite en style palazzo néo-Renaissance par l’architecte berlinois Jacobsthal qui construira également la gare de Strasbourg.
Cette gare donne sur la place du Roi George ; elle est actuellement nommée « l’ancienne gare » et avait été inaugurée en 1878. Comme les précédentes, cette gare était en cul-de-sac. Dès 1872 l’Empereur Guillaume II voulut donc construire un nouvel édifice.
En raison des progrès de l’artillerie, les remparts médiévaux, déclarés caducs sont abattus en 1898 afin de libérer de nouveaux terrains et permettre la construction d’un nouveau quartier et de la nouvelle gare. De ces anciennes fortifications, il ne gardera que, la Tour Camoufle et la Porte des Allemands. La porte Serpenoise, construite en 1852 en tunnel coudé pour donner un accès de la gare vers la ville, a été démontée en 1892 pour élargir le passage. Elle a été remontée en 1902-1903 en arc de triomphe.
« Un concours fut ouvert en 1901, pour la construction d’une nouvelle gare (ce sera la cinquième et dernière, à ce jour). Le concours a été gagné par l’architecte berlinois Jürgen Kröger. Le cahier des charges était très complet, tout avait été prévu : l’entrée du grand hall, la tour, le pavillon de l’Empereur, les bâtiments de service, le chauffage, la circulation des voyageurs et des marchandises, etc.
Kröger avait un projet « Modern style » mais l’empereur Guillaume II imposa un style roman-rhénan révélateur de l’enjeu politique que constitue l’implantation de la gare au milieu d’une population hostile à la germanisation… ce qui donne un énorme édifice néo-roman avec un grand hall central et une tour qui fait penser à une église ; à la fin du siècle dernier, beaucoup de temples protestants avaient cette allure. »
« À cette tour est accolée la statue du grand chevalier, représentant Roland, le neveu de Charlemagne. En réalité il s’agissait de la représentation du Generalfeldmarschall Graf von Haeseler, héros de la guerre de 1870 qui avait pourtant refusé qu’une statue lui soit érigée de son vivant. C’est par une décision personnelle de l’Empereur que le « Roland » de la gare de Metz hérita de ses traits.[1] »
Lors de la victoire de 1918, la statue fut décapitée, la tête remplacée par celle d’un gaulois alors même qu’une croix de Lorraine se substituait à l’aigle du bouclier. En 1940, la statue retrouve sa tête originelle, mais les nazis ne souhaitent pas le retour de l’aigle impériale sur le bouclier : il sera remplacé par les armes de la ville de Metz. Enfin, en 1944 fut installée la tête actuellement en place ! »
« L’empereur d’Allemagne, en construisant une gare aussi gigantesque, voulait affirmer la puissance germanique dans les provinces annexées et y impressionner la population. C’est une gare militaire, parfaitement adaptée à une période guerrière.[2]… Tout a été prévu pour que des dizaines de milliers de soldats, des chevaux ou des canons puissent être embarqués ou débarqués en peu de temps ; 14 voies à quais très longs, circulation parfaitement étudiée avec un circuit propre aux marchandises. Chaque voie est desservie par 2 quais, l’un surélevé à hauteur des plateaux des wagons pour débarquer la cavalerie et le matériel, l’autre à hauteur des marchepieds pour les hommes de troupe. Ainsi pouvaient transiter 25 000 hommes par jour[3].
Cette gare, construite sur un terrain marécageux, l’a été sur 3 045 pilotis en béton de 12 à 17 mètres de profondeur[4]. D’importants remblais ont surélevé les voies afin d’éviter tout croisement avec les rues pour assurer une rotation continue des trains. Lors des travaux d’aménagement de la gare de marchandises, derrière la gare principale, fut découvert un amphithéâtre datant de la seconde moitié du ier siècle après Jésus-Christ[5]. Le Kaiser le fit enterrer.
Il fit ouvrir deux énormes passages sous les voies pour relier la gare de marchandises à la place devant la gare ; ce sont les passages du Sablon et celui de l’Amphithéâtre face à la rue Vauban. Leur largeur [6] répond à une volonté psychologique et stratégique : impressionner les Lorrains voyant arriver de front la cavalerie allemande, le plan incliné proche du château d’eau permettant à la cavalerie d’accéder directement aux quais ».
« Guillaume II disposait d’un appartement privé[7] dans l’enceinte de la gare ; il pouvait y accéder par une porte monumentale à partir du quai n°1. Enfin, l’aération de tous les locaux était assurée par un réseau de canalisations – toujours en place – relié à une cheminée centrale dans le donjon ; une roue à aubes en bois permettait la diffusion de l’air. À la veille de la guerre de 1914, grâce à cette gare immense et ultra-moderne, Metz est devenu une énorme forteresse où débarquera l’essentiel des armements et des troupes allemandes partant à l’assaut de Verdun »
LE SYMBOLISME DE LA GARE DE METZ
Tant ils sont nombreux, nous n’aurons pas l’ambition d’évoquer toutes les statues, bas-reliefs et chapiteaux qui ornent cette gare, vitrine destinée à montrer la puissance allemande et son avance en tous domaines sur les autres nations.
« Connaissant l’hostilité des Lorrains, Guillaume II choisit de la contourner en rappelant l’histoire commune, à l’époque du Haut Moyen Âge. C’est souvent la représentation de scènes courantes comme les adieux ou les retrouvailles des voyageurs. Mais il importe de bien marquer les différences de classe ; devant les salles d’attente de 1ère et de 3e classe, la différence est très nette[8], de même devant les salles de restaurant[9]. »
« Vous trouverez également des bas-reliefs représentant des voitures, des navires, des zeppelins, des chameaux, autant d’indications de la puissance maritime et du désir d’expansion coloniale allemands[10]. »
« En sortant de la gare, sur le trottoir de gauche, vous longerez un bâtiment de service. Ces services sont représentés par plusieurs chapiteaux : le bagagiste, le caissier rendant la monnaie porte-plume sur l’oreille, le télégraphiste manipulant les bandes, le médecin[11]. Un autre chapiteau présente un vieux cheminot retraité, barbu, fumant la pipe[12]. »
« Autre symbole : quai n°1, la porte monumentale ouvrant sur les appartements du Kaiser[13] juxtapose plusieurs styles, au point qu’elle fut nommée « la Macédoine architecturale »[14]« Dans le Grand Salon de l’Empereur, un vitrail représente Charlemagne sur son trône[15]… Charlemagne descendait d’Arnould, évêque de Metz ; une de ses épouses, Hildegarde fut enterrée à Metz, dans l’abbaye de son ancêtre. »
« Ce vitrail rappelait aux Lorrains leur histoire commune avec les Allemands au Moyen-Âge et pouvait servir de lien entre eux et Guillaume II. »
« Une iconographie plus intime orne le pavillon impérial : ce sont des scènes de chasse. En effet, l’Empereur venait à Metz deux fois l’an : en Mai pour chasser et en automne pour les grandes manœuvres, déplacements largement relatés dans la presse allemande. »
Citons in extenso la conclusion de Simone G. qui, rappelons-le date de 1991 :
« On peut dire que la gare de Metz « objet de haine » appartient à l’histoire ancienne. Classée monument historique en 1975, elle fut présentée quelques années plus tard à Beaubourg dans le cadre de la magnifique exposition « L’épopée des gares ». Je crois que maintenant il faut regarder l’avenir et l’avenir c’est le T.G.V. qui reliera la France avec les grandes villes d’Europe. L’objectif de la S.N.C.F. est de parcourir mille kilomètres en trois heures. On peut espérer alors que l’Europe sera faite ».
POUR EN SAVOIR PLUS
Le Moigne F.Y et coll. : Histoire de Metz. Éditions Privat 1986
Musee.metzmetropole.fr : Élément du chancel de Saint Pierre aux Nonnains.
Sary M., Legay C. : Trésors du Musée de Metz – La Cour d’Or. Éditions Serpenoise. 1988
Schontz A. : La gare de Metz. Éditions Serpenoise.2008
[1] Le Generalfeldmarschall Graf von Haeseler deviendra commandant du XVIe Corps d’Armée de l’Empire allemand, équivalent à gouverneur militaire de Metz, après le retour à la France.
[2] « Nous sommes tellement convaincus de l’avantage de l’initiative dans les opérations de guerre que nous préférons la construction de chemin de fer à celle de forteresse. Un chemin de fer traversant le pays fait deux jours de différence dans le rassemblement d’une armée et avance d’autant les opérations » Maréchal Von Moltke.
[3] Cette capacité pouvait atteindre 80 000 hommes en utilisant les capacités d’accueil des gares du Sablon, de Devant les Ponts (deux quartiers de Metz) et de la gare de marchandises.
[4] Brevet français déposé par François Hennebique, dont l’application fut importante et immédiate !
[5] Mesurant 148 mètres par 124, il pouvait accueillir 28 000 personnes. Il figure parmi les plus grands de Gaule, devançant Nîmes et Arles.
[6] Quatre véhicules pouvaient circuler de front sous le passage de l’Amphithéâtre.
[7] « L’appartement comprenait un grand salon, deux chambres, une salle de bain. En réalité, l’Empereur dormait soit au Palais du Gouverneur, soit au Château de Courcelles-Chaussy ; cet appartement servait donc de salle de repos. »
[8] « En 1ère classe les voyageurs sont assis bien droits, la femme est élégante et caresse un chien, l’homme porte un haut de forme. En 3e classe, ils sont affalés, fatigués, un enfant dort sur la table, la mère porte un fichu sur les cheveux et un bébé sur les genoux. »
[9] « En 1ère classe le bas-relief représente un garçon apportant un plat cuisiné chaud alors qu’un second sert du vin dans de beaux verres. En 3e classe, une femme prépare des saucisses et un garçon apporte des bocks de bière. »
[10] « Dès 1903 l’Allemagne travaille à la construction du chemin de fer de Bagdad ».
[11] « À la fois médecin du travail et médecin privé des familles, ce qui souligne l’existence d’une médecine du travail. »
[12] « Les caisses de retraite existaient également. »
[13] Voir note de bas de page n°7
[14] « Dans le monde entier les Allemands sont friands d’archéologie ; en Chine, en ce début de xxe siècle ils sont en compétition avec les Français, les Anglais et les Suédois. À Metz ils découvrent le magnifique chancel de Saint-Pierre-aux-Nonnains aujourd’hui au musée de la Cour d’Or. »
[15] « Charlemagne, fils de Pépin le bref fut couronné Empereur d’Occident en 800, à Rome, par le Pape Léon III. Son œuvre fut considérable par sa diversité et son influence. Grand conquérant, il conquit la Germanie, soumit et convertit les Saxons, fut victorieux sur les Lombards et sur les Arabes au nord de l’Espagne. Il édicta nombre de lois, assura une bonne administration, créa des écoles et provoqua un renouveau des Lettres et des Arts. »